1919. Premier diplôme ouvrier, il est d’abord rejeté par les employeurs, car il soustrait la formation à l’employeur, qui la considère pourtant comme une prérogative, repose sur des cours obligatoires et dépend de l’Éducation nationale. Avec la qualification par le diplôme, les patrons redoutent des revendications en matière d’emploi, de conditions de travail et de salaire. Comme le montre l’historien Guy Brucy, la légitimité du CAP, devenu emblématique de la qualification ouvrière, résulte d’une conquête de haute lutte pour imposer un modèle de travailleur «autonome et polyvalent», comme le stipule le décret de 1919 de la loi Astier instituant le CAP. Innovation importante, ce diplôme professionnel repose sur une formation méthodique et complète, autrement dit sur des savoirs professionnels et généraux acquis dans un temps long, dans le but de former «l’homme, le travailleur et le citoyen». Les employeurs finiront par en reconnaître la valeur au nom de ses qualités, mais aussi parce qu’il a pour eux l’avantage de sanctionner une formation prise en charge par l’État et d’autoriser une première sélection de la main-d’œuvre grâce à un examen alors très sélectif. En 1936, le Front populaire entérine le lien avec l’emploi qualifié en inscrivant le diplôme dans les conventions collectives de branche. Comme les autres diplômes labellisés par l’État, le CAP bénéficie des garanties qu’offre cette labellisation: c’est une propriété individuelle inaliénable, imprescriptible, valable sur l’ensemble du territoire national et intemporelle, autrement dit valide tout au long de la vie. À la Libération, les centres d’apprentissage se multiplient et se voient dotés, en février 1949, d’un statut définitif d’établissements publics. Ils deviendront plus tard des collèges d’enseignement technique, puis des lycées d’enseignement professionnel et enfin des lycées professionnels.
Ce rapport au temps fondamental, qui concerne l’ensemble des diplômes de l’enseignement professionnel, est mis en cause depuis de nombreuses années, via la Validation des acquis d’expérience (VAE) instituée en 2002 par la loi de modernisation sociale. Pour réduire les limites imposées par la durée de la formation, considérée comme trop longue pour certaines catégories de travailleurs, la VAE donne accès au diplôme sans passer par la formation formelle ni par un examen. Cette rupture avec les exigences temporelles que réclame la préparation d’un diplôme se traduit également par la dévalorisation des savoirs au profit de blocs de compétences. Bien que les diplômes offrent à leurs titulaires les protections les plus solides sur le marché du travail, désormais c’est la multiplication de micro-certifications qui est encouragée par les pouvoirs publics, avec des formations qui peuvent se réduire à 7 heures. Conçues et délivrées par toute une série de prestataires, elles alimentent un marché en plein essor sans offrir de garanties identifiables. Ces choix politiques dévalorisent les diplômes de l’enseignement professionnel, par ailleurs affaiblis par des réformes incessantes.
En savoir plus:
- Fabienne Maillard, «Du temps long des diplômes à la péremption des compétences», vidéo du colloque Quelle valeur du temps de travail?, organisé par l’IHS-CGT, La Pensée, l’Institut de la FSU et la Fondation Gabriel Péri, 9 décembre 2024.
- Guy Brucy, Fabienne Maillard, Gilles Moreau (dir.), Le CAP. Un diplôme du peuple 1911-2011, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2013, 314 p.
- Fabienne Maillard, «Enseignement professionnel: une réforme pour les jeunes ou pour les entreprises?», Silomag, n°17, septembre 2023.